Brèves de chantier printanier par Loïc Bizeray

Brèves de chantier printanier

            Sur la côte, le printemps est l'occasion de grands chantiers de peinture et de vernissage pour préparer les navires à la saison estivale. Toilettes auxquelles chaque propriétaire s’adonne avec sérieux et fierté. Et Morvarc'h n'échappait pas à la règle.

Alors adolescents, nous allions avec mon frère retrouver les filles de Jean et Josy sur le sillon puis rejoints par le capitaine pour ce traditionnel rendez-vous pré-maritime.

            J'ai le souvenir très précis de ces journées de joyeux labeurs calés sur la marée. Nous les passions à frotter la coque avec des balais brosses, de l'eau parfois jusqu'aux hanches pour pouvoir plus rapidement la repeindre. A poncer puis revernir les bois des bordées et du pont ou rafraîchir le roof. Sans compter les travaux d'intérieur, tout aussi indispensables... Nous étions adolescents et pourvus d'une énergie débordante. Parfois maladroite (Quand je renversais un pot de peinture blanche sur le pont sous le regard dépité de la famille Grouhel et qui en garda longtemps les stigmates... le pont, pas les Grouhel !), mais toujours généreuse.

C'étaient de cocasses chantiers où rivalisaient la bonne humeur et l'espièglerie, ça piaillait, chantait et riait fort. Faisant l'animation du sillon...

Les gens du port nous observaient avec humour et bienveillance quand les touristes agrémentaient leurs albums photographiques de ces pittoresques tranches de vie portuaires.

            Il m'est arrivé de vouloir mettre un point d'honneur à faire disparaître ces délicieuses taches de rousseur que faisaient naître les projections d'antifouling sur le visage de Ségalen. M'appliquant à lui nettoyer les joues et le front avec cet incroyable « demak'up » qu'est le white-spirit...

Cependant, je n'ai jamais compris l'agacement de sa maman à me voir lui « faire la toilette » et intérieurement je me disais :

« Comment ça, ce merveilleux produit issu de l'industrie pétrolière n'est pas idéal par enlever les taches de peinture ! N'est-il pas prodigieux sur les pinceaux ?... Hé ! Mais elle m'engueule avec ça ! »

J'étais vexé par tant d'ingratitude, moi qui m'appliquais à lui rendre sa fille présentable.

            A la fin de ces journées, nous nous dirigions immuablement avec les filles Grouhel vers la maison de leurs Grand parents. Ce refuge se trouvait sur le port, juste en face où Morvarc'h venait s'échouer sur ses béquilles pour la saison hivernale. C'était le pays de Cocagne de mes fringales d'adolescent. Corne d'abondance de goûters somptueux. Je n'en suis jamais reparti sans y être rassasié. Et c'est un vrai défi que de combler l'estomac d'un garçon de 16 ans qui vient de passer son après-midi à travailler en pleine air. Défis que généralement seules les Grand-mères savent relever...

Nous y écoutions aussi, avec mon frère, les conseils et les encouragements de leur Grand-père qui prétendait que pour des « biffins » nous ne nous en sortions pas trop mal ! Etait-ce un compliment ?

Abondance de gentillesse et de nourriture, que demander de plus à cet âge ? Cette pause était une vraie bénédiction dans le tumulte et l'incertitude de notre âge...

J'ai donc eu beaucoup de plaisir à emmener mon fils aîné sur Morvarc’h, puis chacun de mes enfants. Et encore plus de fierté de les voir vibrer avec passion sur le pont et vivre l’océan au plus profond de leur cœur…

Loïc Bizeray