Souvenir d'une navigation mémorable en Juillet 74... par Josy Grouhel

En juillet 74, nous commencions nos premières navigations à bord de
notre bateau: le Morvarc'h.

Un jour, Jean voulant élargir un peu notre horizon et changer de nos
sorties dans le Corréjou, le Lion, les Tas de Pois ou au large de
Bertheaume; proposa d 'aller mouiller à Roscanvel. Nous voilà donc
partis, après avoir installé pour la sieste, notre  fille de 10 mois
dans son hamac (sécurisée par une fermeture éclaire, afin qu'elle ne
risque pas de passer par- dessus bord). La météo et la marée étaient
correctes pour passer le goulet, mais c'était sans compter sur les
caprices d’Éole!

  En approchant de la Cormorandière, au pied de la pointe des Espagnols,
là où le courant est toujours assez fort,  la renverse s'était déjà
installée (la marée descendait): nous avions alors le courant contre
nous: ce n'était donc pas évident d'avancer, d'autant que le vent
n'était plus vraiment au rendez-vous.. .

Au bout d'un certain temps, comme nous n'arrivions manifestement pas à
progresser et que nous nous  approchions  un peu trop près de ces
impressionnants tourbillons, Jean décida, bien à contre- cœur, qu'il
était plus prudent "d'assurer", en mettant le moteur. Ce qui fut
rapidement fait, mais cela  n' améliora guère notre situation et Jean,
qui surveillait notre progression à l'avant, me cria: "Mets les gazes à
fond"; ce à quoi je lui répondis:" Mais ils sont déjà à fond"!

A partir de ce moment là, j'avoue avoir eu ma première peur à bord de
Morvarc'h: je pensais, angoissée à notre toute petite fille qui dormait
paisiblement bercée par cette mer plutôt agitée! Dans ces cas là les
idées les plus folles s'agitent dans la tête: une fois pris dans les
tourbillons nous ne serons plus maîtres de la manœuvre, et nous allons
inéluctablement être drossés sur les cailloux de la Cormorandière, et
alors comment sauver ma fille? J'aurais déjà tant de mal à m'agripper à
quelque chose, même si Jean me donne la main.

J'hésite à descendre à l'intérieur, j'attends encore un peu... Il semble
que peu à peu nous nous dégageons de la zone des forts courants, mais
quand le vent mollit un peu nous dérivons encore un peu plus. Plus loin
une veine de courant nous est plus favorable et nous progressons à
nouveau. Tout n'est pas perdu!

Le temps m'a paru bien long avant que nous réussissions enfin, à
contourner cet obstacle et quel soulagement de finir tranquillement
notre navigation dans la baie de Roscanvel, pour mouiller enfin dans des
eaux plus accueillantes.

Par la suite, nous avons souvent navigué dans les parages, mais les
conditions étant plus propices et Jean connaissant mieux son bateau: je
n'ai plus éprouvé ce sentiment d'impuissance.

Josy Grouhel